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Les communes italiennes écrasées par la dette et l’austérité : un audit citoyen de la dette, maintenant !

 

Depuis quelques années, les entités locales en Italie (et par ailleurs aussi dans d’autres pays européens) sont devenues le lieu principal de précipitation, au sens chimique, de la crise financière et de l’application de mesures d’austérité. La crise financière qui a frappé l’Europe entière, l’ensemble de mesures découlant du pacte budgétaire européen (TSCG), les différentes coupes prévues par le gouvernement central ont mis les communes à genou. A partir de 2012, les coups portés par les politiques néolibérales aux entités locales redoublent de violence, avec la dette comme prétexte parfait pour vider leur caisses, remettre en cause leur fonction publique et sociale historique de fournisseurs de services sociaux fondamentaux et briser définitivement la solidarité avec l’État central et les régions.

Pourquoi le niveau municipal ?

En Italie aujourd’hui, 270 communes ont mis en œuvre ce que l’on appelle en italien procedura di pre-dissesto, ou ‘procédure de pré-crise’. 80% de ces communes se trouvent au sud de la Péninsule (historiquement moins développé du point de vue économique). Parmi ces communes, on trouve également des chefs-lieux qui dépassent 250000 habitant-e-s comme Turin, Catane et Naples.
Cette procédure – introduite par l’État en 2012 pour aider les communes en crise financière |1| ou faisant face à un déficit public structurel – consiste en un plan de rééquilibrage financier pluriannuel dont les financements peuvent être anticipés par l’État via un fond spécifique. |2| L’objectif de ce plan est d’un coté d’augmenter fictivement les recettes des communes et de l’autre de bloquer les dépenses pour permettre un redressement économique. Les entités qui choisissent d’appliquer cette procédure constatent une augmentation de la pression fiscale et des coupures de services sociaux destinés à la population.
Mais pourquoi les communes se trouvent-elles dans une situation économique si dramatique ? Entre 2010 et 2016, les communes italiennes ont reçu neuf milliards en moins depuis le gouvernement central Une des premières raisons de la crise, ce sont les coupes dans les transferts opérés par le gouvernement central vers les entités locales.
Selon l’Association nationale des communes italiennes (ANCI), entre 2010 et 2016, les communes italiennes ont reçu neuf milliards en moins en raison de coupes dans les dépenses et de réduction des transferts depuis le gouvernement central.
Si on regarde le graphique |3| ci-dessous, il est évident que cette diminution structurelle commence en 2011, année du début des politiques d’austérité de l’Union européenne et l’application du TSCG.

En 2012, sous le gouvernement de technocrates de Mario Monti, le Sénat italien approuve la réforme de l’article 81 qui ratifie le pacte budgétaire imposé par l’Union européenne obligeant les pays dont la dette est supérieure à 60% du PIB à passer sous ce seuil sur vingt ans, sous peine de sanctions financières. L’Italie s’engage donc à procéder à une réduction de 50 milliards d’euros par an jusqu’à 2035, réduction qui s’applique aux dépenses publiques à tous les niveaux.
Au niveau communal, le nouvel article 81 empêche la mise en œuvre de nouvelles dépenses par le biais de la loi sur les finances. D’autres articles de la Constitution sont également reformulés : sur le papier, les communes ont plus d’autonomie dans la gestion quotidienne de leurs activités, mais dans la réalité, étant donné qu’il leur est interdit de recourir à l’endettement dans le but d’atteindre l’équilibre budgétaire, elles doivent augmenter les impôts ou en créer des nouveaux pour leurs dépenses ordinaires. Ainsi autonomie signifie plutôt asservissement aux intérêts financiers.

De plus, suite à la réforme de l’article 81, les communes doivent mettre de côté des réserves (appelées accantonamenti), c’est-à-dire des sommes assez conséquentes comme garantie des crédits octroyés. Cet argent est évidemment soustrait à d’autres dépenses de compétence communale comme les cantines scolaires, les crèches, les transports publics ou d’autres services adressés à la Communauté.
Les économies faites par le gouvernement viennent des coupes dans les transferts aux communes. Le secrétaire du parti démocratique italien, Matteo Renzi, a récemment déclaré qu’entre 2014 et 2017, l’Italie a économisé 30 milliards d’euros grâce à une procédure de révision de comptes et de rationalisation des dépenses publiques – connue en Italie sous le nom de spending review – et fortement souhaitée par l’eurogroupe. Or plusieurs sources mentionnent qu’une moitié des économies réalisées vient d’un escamotage comptable (un poste de dépenses a été déplacé au poste « réduction des impôts ») et l’autre moitié vient des coupes opérées dans les transferts aux communes |4| et de la réduction de postes dans le secteur public (surtout dans les ministères).
La situation est encore plus inacceptable quand on regarde le coût que les communes représentent pour l’État. Tandis que les communes contribuent à redresser la situation économique du gouvernement central (à travers leurs efforts pour respecter l’équilibre budgétaire comme démontré plus haut), le pourcentage de la dette nationale venant des communes est de seulement 1,8% du total de la dette publique (voir graphique suivant |5|).

Aujourd’hui l’Italie dépense pour les seuls intérêts sur la dette (sans compter son stock) 5% de son PIB. |6| Il s’agit du troisième poste de dépense après la sécurité sociale (21%) et la santé (7%). Mais c’est au niveau local que la situation est catastrophique. Les grosses communes dépensent 12% de leurs revenus pour les paiements des intérêts liés à la dette, tandis que pour les petites cette dépense peut monter jusqu’à 25%.
Toutes les solutions apportées par le gouvernement et l’Union européenne (diminution de transferts aux communes, bloc de dépenses et obligation de réserves d’argent pour payer la dette) aggravent la crise économique traversée par les entités locales jusqu’à les détruire. La commune de Parme a par exemple récemment déclaré qu’à partir de 2018, 15 personnes handicapés n’auront plus d’assistance sociale communale et d’autres services dont elles ont besoin. Qui s’occupera de ces personnes ?
Et plus généralement, qu’est- ce que nous pouvons faire face à pareille situation ?

 

Un nouvel élan pour les groupes d’audit en Italie

Les mouvements sociaux sont appelés à faire un saut qualitatif en mettant au centre de leur réflexion et action la question de la réappropriation de la finance, de la dette, des services communaux, à travers une approche plus systémique qui fasse le lien entre les luttes contre l’exclusion sociale des classes les plus pauvres et des migrant-e-s, pour des logements sociaux et des services publics décents et accessibles à tout le monde ainsi que les causes profondes de ces problèmes, c’est-à-dire la dette, le TSGC, les politiques européennes.

Samedi 25 novembre dernier a eu lieu à Parme la journée nationale des réalités territoriales locales qui promeuvent l’audit de la dette. Il s’agit d’un nombre important de grandes villes de la péninsule : Parme, Rome, Turin, Gênes, Naples auxquelles viendraient s’ajouter Reggio Emilia, Saronno, La Spezia, Boulogne, Grosseto et Brescia.
Parme est sûrement l’expérience la plus aboutie à cet égard : le groupe existe depuis 2012 et a atteint des résultats importants. Il a par exemple réussi à révéler un réseau de corruption composé d’entrepreneurs, de banquiers et d’administrateurs publics qui a produit une dette de 860 millions d’euros. La ville avait ensuite multiplié les augmentations de taxes sur la population et les diminutions de dépenses sociales. Cette affaire a fini par avoir raison du conseil municipal qui est tombé sous le poids de nombreuses enquêtes judiciaires et mobilisations citoyennes, facilitées par le travail de l’audit.
L’audit municipal de la dette n’est pas donc une nouveauté en Italie : à coté de Parme, d’autres villes se sont mobilisées à partir de 2013 pour essayer de comprendre les raisons profondes qui se cachent derrière l’augmentation de la dette publique, les coupes budgétaires et la vente du patrimoine mobilier de leurs villes.

La rencontre a rassemblé toute une série d’énergies positives : une plate-forme nationale s’est créée et un document politique sortira pour fin décembre 2017 afin de 1. définir pourquoi il est fondamental d’auditer les finances des communes, le niveau le plus proche et le plus accessible aux citoyen-ne-s, 2. sensibiliser la citoyenneté aux enjeux de la finance spéculative et au chantage du gouvernement et de l’UE, 3. s’opposer à ces politiques à travers le refus du paiement de la dette. Plus d’informations à venir donc ! Entre-temps, la plate-forme se donnera aussi les instruments pour mener l’audit : un groupe d’experts comptables s’est mis à disposition des différents groupes qui ont déjà commencé à échanger de la documentation utile pour apprendre de l’expérience les uns des autres.

Dans un contexte politique très fragmenté, des rencontres comme celle du 25 novembre dernier à Parme donnent un souffle d’oxygène à la dynamique collective militante. Cette rencontre a su retisser une trame commune aux différentes réalités de lutte contre la dette illégitime et reconstruire le réseau qui s’était effiloché ces deux dernières années. Maintenant, il ne faut pas lâcher !

Merci à Christine Pagnoulle pour sa relecture

Notes

|1| Cette condition se présente lorsque l’entité publique ne peut pas garantir l’accomplissement de ses fonctions et services indispensables, c’est-à-dire lorsqu’elle ne peut faire face à des créances exigibles par des tiers. Voir http://www.giurdanella.it/2014/04/0…

|2| Cette anticipation de financements peut s’opérer seulement si certaines conditions sont réalisées (par exemple la municipalité doit démontre qu’elle a réduit les dépenses courantes d’au moins 5%).

|3http://www.massacriticanapoli.org/2…

|4| Pour plus d’info lire http://www.ilpost.it/2017/06/23/30-… et http://www.ilsole24ore.com/art/noti…

|5http://www.massacriticanapoli.org/2…

|6| L’Italie fait partie des pays les plus indettés d’Europe avec une dette totale de 2.280 miliards d’euros (soit 132% du PIB)

Auteure : 

Chiara Filoni – Permanente au CADTM Belgique