L’Express – Propos recueillis par Alexis Lacroix et Aliocha Wald-Lasowski, publié le 22/05/2018

« Macron, c’est Mitterrand, la francisque en moins. »

 

Le philosophe publie Zéro de conduite. Pour l’occasion, L’Express l’a convié à un tour d’horizon de notre vie publique.

L’EXPRESS – Votre nouveau livre, qui chronique le début de règne d’Emmanuel Macron, annonce-t-il à sa façon une forme de deuil politique, au moment de la « fête d’anniversaire » de sa première année au pouvoir ? Sommes-nous entrés dans une ère post politique, où seul dominerait le cynisme antidémocratique qui nous manipule ?

Michel Onfray – Le décès est ancien, j’ai fait mon deuil depuis longtemps… La France est morte en 1992, date du traité de Maastricht par lequel nous avons renoncé à notre souveraineté au profit d’une supranationalité libérale gérée par un dispositif très autocratique qui dispose de l’argent, donc des médias, donc de l’opinion – ce que je nomme l’Etat maastrichtien. Paradoxalement, ce dernier impose le libéralisme (que je définis comme le régime dans lequel le marché fait la loi) par l’idéologie, la force, la contrainte, l’intimidation, le flétrissement des pensées résistantes.

 

Depuis Epicure, puis Hobbes, puis Rousseau, le principe du contrat social est simple : le renoncement consubstantiel au contrat génère un bénéfice supérieur à ce à quoi on renonce. Pour Hobbes, on renonce à la liberté individuelle de nuire à son prochain au profit d’une sécurité collective de tous, assurée par l’Etat qui se trouve constituée par ledit Etat. A défaut, quand on n’obtient pas ce qui avait été promis (souvenez-vous : augmentation du niveau de vie, plein-emploi, fin du chômage, amitié entre les peuples, fin des guerres…), on a droit de reprendre ses billes…

On voit bien à quoi la France a renoncé : la monnaie, qui est pouvoir d’agir ; la souveraineté, qui est pouvoir de contrôler les allées et venues des personnes et des biens dans son espace ; la liberté, qui est pouvoir de créer des lois qui protègent la Nation et en font le premier horizon. Au profit de quoi ? Des pleins pouvoirs donnés aux marchés, donc à l’argent ; d’une déréglementation généralisée, d’un nivellement social par le bas, d’une guerre de tous contre tous, d’une guerre sociale, dont le terrorisme islamiste associé à nos guerres néocoloniales ; d’une paupérisation monstrueuse, d’une inculture massive, d’une société du divertissement abrutissante (télévision, séries, cinéma, jeux télévisés, sport, presse people…).

Macron est l’homme de ce projet politique. Et sa complicité de président de la République affichée le jour de son anniversaireavec Cyril Hanouna, la quintessence de la grossièreté du système médiatique, en témoigne.

 

Cyril Hanouna appelle Emmanuel Macron à l’antenne le jour de son anniversaire.

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Le libéralisme politique n’est-il pas, que vous le vouliez ou non, incarné aujourd’hui essentiellement par le bloc macroniste ?

Oui, bien sûr, Macron est l’homme lige de cet Etat maastrichtien : il a beau se réclamer du général de Gaulle, il est l’héritier en ligne direct de Mitterrand qui n’eut qu’une seule ligne claire dans sa vie : la haine du général… De ses sympathies de jeunesse pour la Cagoule à son dernier déjeuner à l’Elysée avec Jean d’Ormesson, dont il savait la nature de pipelette mondaine à Paris et auquel il parle de la puissance du « lobby juif », Mitterrand n’a connu qu’un seul idéal : sa petite personne.

Ce en quoi le Macron égotiste, qui choisit Stendhal comme deuxième auteur de La Pléiade pour la mise en scène de son icône présidentielle, se montre une fois encore le digne héritier de Mitterrand qui, après avoir renoncé à la gauche, en 1983, s’est entiché d’une Europe dont il savait de façon cynique qu’elle détruirait définitivement la France gaullienne. Avec la vente de la nation au consortium maastrichtien, l’homme de la francisque pouvait triompher face à l’histoire : il a tué l’oeuvre de l’homme du 18 Juin.

En guise de « Happy Birthday Mister President ! » comment les Français doivent-ils réagir, selon vous? S’il n’y a rien à fêter, alors quel serait l’espoir politique en France : se résoudre à l’abstentionnisme?

Les Français comprennent de plus en plus et de mieux en mieux que le dispositif de l’Etat maastrichtien est de nature totalitaire et que le verrouillage idéologique qu’il assure les empêche, désormais, de sortir de ce marché de dupes : soit ils manifestent contre et ils passent pour fascistes, nazis, nationalistes, vichystes, pétainistes ; soit ils parviennent à exprimer leur opposition, comme au référendum sur le traité européen de 2005, mais alors on jette leur vote à la poubelle.

Souvenez-vous que, entre les deux tours de la présidentielle, Macron est allé ostensiblement à Oradour puis au mémorial de la Shoah, afin d’expliquer qu’à présent les Français n’avaient plus le choix qu’entre lui, le maastrichien, et Marine Le Pen, alors l’antimaastrichtienne, donc entre Charles de Gaulle et Adolf Hitler…

Comment s’opposer au « bonapartisme » macronien sans faire le jeu des extrémistes ?

C’est toute la perfidie du système maastrichien de laisser croire que quiconque n’est pas avec eux est contre eux. Ses troupes utilisent massivement les médias d’Etat et privés, subventionnés par le contribuable, pour présenter leurs opposants comme des populistes racistes et xénophobes, des gens d’extrême droite. Donc des compagnons de route de Rebatet ou Brasillach. Il ne faut pas craindre l’insulte de ces gens-là. Il faut même la vouloir, la souhaiter : c’est le signe que l’on met dans le mille. Une vipère ne mord que si l’on est un danger pour elle…

Une leçon politique ne vous a jamais quitté, celle que résume Jean Giono en préface du Prince, de Machiavel : « Le pouvoir gouverne toujours comme les gouvernés gouverneraient s’ils avaient le pouvoir. » Le macronisme illustre-t-il cette maxime politique ?

Oui, c’est la grande leçon du socialisme libertaire qui est le mien. J’avais lu cette phrase de Giono, en admirant sa concision et sa pertinence, quand j’avais une vingtaine d’années. Elle m’a gardé depuis de tout abandon à une cause : si j’ai pu me prêter politiquement, ce que je ne regrette pas – car c’était au nom de l’éthique de responsabilité -, je ne me suis jamais donné, ce dont je me réjouis – c’est l’éthique de conviction. Je crois désormais que, en ce qui me concerne, la véritable éthique de responsabilité, c’est d’être plus intransigeant encore avec l’éthique de conviction…

Si Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon sont, au fond, l’envers et l’endroit de la même pièce, quelle alternative politique reste possible pour les Français ?

Les Français eux et eux seuls. Qu’ils dégagent même les dégagistes ! C’est assez sidérant que Mélenchon -qui fut sénateur socialiste pendant près de vingt ans, et qui a voté oui à Maastricht (il est donc coresponsable de la mouise politique dans laquelle nous nous trouvons…) – passe pour un espoir. Je défends une autogestion girondine qui suppose que le pouvoir soit exercé directement en assemblées par les citoyens sans passage par une figure providentielle.

Croyez-vous, comme semble l’attester le grand succès de L’Exercice du pouvoir, de François Hollande, à une reviviscence de la famille social-démocrate, malgré l’espace idéologique, très étroit pour l’heure, que lui disputent les macroniens de gauche ?

La social-démocratie parle à gauche et gouverne à droite, c’est sa signature. Son exercice sophistique paralyse l’électorat de gauche comme le serpent qui charme l’oiseau sur sa branche : le capitalisme peut se montrer plus brutal encore quand la social-démocratie est au pouvoir. Libération titre « Vive la crise ! » en 1984. Jamais Le Figaro n’aurait pu titrer la même chose. Quand Yves Montand, BHL, Simone Signoret, Anne Sinclair et d’autres, dont Laurent Joffrin, à l’époque, débordent Giscard sur la droite, la « gauche » avale, sous prétexte que cette camarilla se dit de gauche. Politiquement, Macron c’est Mitterrand, la francisque en moins ; ou Hollande, le scooter en moins. Je pourrais ajouter Sarkozy, les piles Duracell en moins…

Pourquoi la droite républicaine reste-t-elle inaudible ?

C’est une grande énigme pour moi. Je vous propose une hypothèse : elle est en deuil de Sarkozy auquel il faut succéder, ce qui n’est pas une mince affaire. Cette droite qui l’a jeté au fossé pour lui préférer Fillon, dont on a ensuite découvert la duplicité, se retrouve devant une tête coupée en se disant finalement qu’elle allait bien avec ce roi qui faisait le boulot à droite…

Vous dénoncez l’Europe de Maastricht. Soit. Mais n’y a-t-il pas d’autre option qu’une Europe imposée par Maastricht ?

Bien sûr que si, tout le monde est européen ! Qui ne l’est pas ? Mais c’est une autre performance sophistique des maastrichtiens d’avoir laissé croire que si l’on était contre l’Europe libérale, parce qu’elle était libérale, c’est qu’on était contre l’Europe. Une Europe avec des nations respectables et respectées est la seule solution. C’est la solution libertaire des contrats synallagmatiques, donc républicaine, contre la solution libérale d’un contrat léonin, donc autocratique.

Emmanuel Macron a insisté, depuis quelque temps, notamment sur TF1 et BFM TV, sur le fait qu’il n’abandonne pas les territoires de la France périphérique. Lui faites-vous confiance sur cette question ?

Les banlieues ont été inondées d’argent public depuis des décennies avec le résultat que l’on sait. Il n’y a pas de banlieues à aménager mais des banlieues à détruire, grâce à une réelle politique post jacobine et réellement girondine, qui prenne en considération les provinces et les campagnes à travers un aménagement du territoire post-urbain en faveur de la ruralité.

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Carrément !

Macron n’a pas de politique de la ville, ni de politique culturelle d’ailleurs. Idem avec le terrorisme. Il bricole dans l’incurable, le marché ne l’a pas placé là pour régler ce genre de problème.

Avez-vous le sentiment que l’extension du mécontentement va se cristalliser autour de la réforme de la SNCF ?

Aucune idée. Ce que je sais c’est que les mécontentements s’ajoutent et que tout cela fonctionne comme une accumulation de poudre. La moindre étincelle fait ensuite l’affaire pour embraser le tout.

Dans ce climat de tensions sociales et, en particulier, de grèves perlées à la SNCF, pensez-vous que le service public en France soit mort depuis longtemps déjà ? Les conditions d’une décence ordinaire du service public pour les Français ont-elles définitivement disparu ?

Seuls les syndicats croient encore que le service public y fait encore la loi ! C’est une fiction… Idem avec La Poste, les hôpitaux, l’Education nationale où le pouvoir est détenu par les comptables. L’usager est le dernier souci de tous : des syndicalistes qui défendent leurs statuts aux patrons qui défendent la boutique qui laisse une grande place à la sous-traitance avec l’argent du contribuable, on se moque du citoyen.

Quel regard portez-vous sur la jeunesse aujourd’hui ? Il y a un an, elle soutenait de façon assez massive – et enthousiaste – le candidat Macron, elle est maintenant dans la rue ou bloque les facs. Elle semble faire volte-face. Fait-elle preuve d’une immaturité politique, selon vous ?

C’est une jeunesse fabriquée par le politiquement correct des médias, tous supports confondus, amplifié par l’école au service de la promotion de cette idéologie. J’apprécie le travail du ministre de l’Education, mais qu’il ait fait savoir que la promotion de l’Europe maastrichtienne soit un objectif affiché de l’école me navre. Cette génération est un produit marketing obtenu avec le département « fabrication du consentement » de l’Etat maastrichtien… Le summum de la perversion étant que cet Etat demande désormais aux médias qui intoxiquent d’aller dans les écoles afin d’apprendre ce que serait désinformer en ciblant, bien sûr, toute pensée alternative à la leur… Désinformer en prétendant apprendre les ficelles de la désinformation chez autrui : nous sommes chez Orwell.